Esquisse Thomas Hauert
published by: Le cinquième élément - Nathalie Yokel on 30 November 2002
Invité du festival d'Automne, le Suisse Thomas Hauert présentait «5» au Centre Pompidou. Cinq pièces pour le cinquième anniversaire de sa compagnie, constituée de cinq membres. Rencontre avec un artiste déterminé à explorer le mouvement en profondeur. Avec son allure calme et posée, Thomas Hauert dégage sérénité et réserve. Dans ses mots et son accent en provenance de sa Suisse alémanique natale, c'est la simplicité qui règne. A l'image de son travail chorégraphique, révélé en France en 1998 à l'occasion des Rencontres chorégraphiques internationales de SeineSaint-Denis. A l'époque, ce sont seulement trente minutes d'une pièce créée pour l'occasion qui lui vaudront le Prix d'auteur et le Prix Jan-Fabre. « Cows in Space » marque alors le début d'une aventure personnelle et collective au service du mouvement, tout simplement: « A long terme, je me suis rendu compte que beaucoup de gens nous ont vus là. Je voulais commencer à la base, examiner les choses que je trouve fondamentales, sans dramatiser. Faire des expérimentations et les présenter telles quelles ». Et ces bases, qu'il exploite toujours, voient naître un chorégraphe. Thomas Hauert, n'est pourtant pas un enfant de la balle. Né dans un petit village suisse, le jeune homme montre assez tôt un intérêt pour la danse, sans pour autant songer à le réaliser. Il sera instituteur... avant de bifurquer tout droit vers Rotterdam où l'Académie de danse se charge d'en faire un « bon interprète ». « J'adorais danser, mais j'avais l'impression qu'il était beaucoup trop tard. A l'époque, dans mon environnement, il y avait ce cliché qu'il fallait commencer la danse à six ans ». Mais à vingt-deux ans, Thomas se dit affamé: il engloutit alors les cours de classique, les techniques Graham et Cunningham, et même un peu d'improvisation. « J'ai beaucoup dansé avant, beaucoup fait de sport, mais je n'avais pas de technique. Quelque part, je voulais vraiment apprendre, mais artistiquement je ne m'y retrouvais pas ». Thomas se cherche encore. Aux Pays- Bas, sa nourriture devient spirituelle. Rotterdam, La Haye et Amsterdam ne manquent pas de festivals ni de compagnies internationales.
L'expérience avec Rosas Son véritable apprentissage, Thomas Hauert l'a sans doute fait auprès d'Anne Teresa de Keersmaeker pour qui il danse pendant trois ans: « C'était un chouette groupe chez Rosas, très soudé, avec un travail très intensif, épuisant. L'accroche aux collègues était très importante. Ce qui m'a le plus marqué, c'est le travail sur la construction du mouvement, la façon dont Anne Teresa travaille avec différents systèmes de composition, et aussi la collaboration avec d'autres artistes dans une dynamique de groupe ». Ses cinq ans de chorégraphe à la tête de la compagnie Zoo renouvelleront à chaque expérience ce principe en or : toujours les mêmes interprètes, la même bande de copains. Il y a Mark Lorimer, Sara Ludi et Samantha Van Wissen, rencontrés chez Anne Teresa de Keersmaeker, et Mat Voorter, qui a partagé ses études et le même goût pour l'improvisation chez David Zambrano. Avec eux, il s'essaie au mouvement pur, tout simplement. Ses bases de travail traduisent la grande humilité du personnage, attaché aux composants du mouvement comme la force, la vitesse, la tension, la rotation, la gravité, sans « couche de maquillage », comme il dit. Sa deuxième pièce, «Pop-up Songbook, reprend les mêmes expériences physiques et y adjoint la voix, dans une sorte de recueil de pièces musicales. Le travail de déplacement de groupes et de leurs logiques internes va plus loin.
Eloge du déséquilibre Encore étudiant à Rotterdam, il relie un triangle isocèle, un carré et un cercle les uns aux autres pour définir le parcours des danseurs. Ensuite, chez Rosas, c'est un film, « «l'Homme à la caméra » de Dziga Vertov, qu'il utilise pour définir des trajets. Dans ce nouveau projet, le groupe de danseurs devient un sixième corps, d'où se révèle l'inter-espace et la relation des uns aux autres. Chacune des pièces de Thomas Hauert a la particularité d'amorcer une réflexion sur la suivante: ne restait-il pas, dans « Pop-up Songbook », treize minutes sur une jambe à se désarticuler en cherchant la stabilité? Aussitôt après, « Jetzt » montrera la plus remarquable étude qui soit sur le déséquilibre. Sur la musique de Thelonious Monk, les corps oscillent, titubent et vacillent, tous décontractés mais jamais aussi proches de l'état d'apesanteur. Dans chaque projet, Thomas danse lui-même, quand il ne se chorégraphie pas directement des solos. Le dernier en date renverse la tendance, ou plutôt affirme une direction toujours latente dans la compagnie: « 5 », présenté au dernier festival d'Automne, est un ensemble de cinq pièces, chacune chorégraphiée par un membre du groupe. Thomas n'aura eu qu'à coordonner l'ensemble, attitude qui découle comme naturellement d'un long processus collectif mené depuis la création de Zoo: « Je ne suis pas quelqu'un d'autoritaire, j'essaie toujours de me nourrir de la créativité des autres. Pour moi, il est plus intéressant de pouvoir puiser chez chacun, et pour l'autre, c'est plus responsabilisant que d'être un simple interprète. » Un grand esprit de liberté souffle sur Thomas et ses amis. Leur prochain projet? Travailler sur une musique existante ! Voilà un cadre strict que Thomas ne manquera pas d'explorer... à sa base.