Performance Walking Oscar

© Filip Vanzieleghem
© Filip Vanzieleghem

Walking Oscar

Press reviews

Thomas Hauert et le don du vertige

published by: Rosita Boisseau, Le Monde on 08 August 2006

THOMAS HAUERT et le don du vertige

Peu connu du grand public mais reconnu par la profession, le chorégraphe suisse, installé à Bruxelles depuis 1991, se place en champion du « remue-méninges », au service d'une danse qui repousse les limites du corps.

Il est suisse, vit à Bruxelles depuis 1991. Il danse et chante, fait parfois les deux en même temps. En anglais, mais aussi en français, avec le rude accent du canton allemand de Soleure, près de Bern, où il est né dans un petit village il y a trente-neuf ans. Sa compagnie, créée en 1997, possède le nom inoubliable de ZOO, immédiatement associé à son premier spectacle, tout aussi inoubliable, intitulé Cows in Space. Soit, à partir de l'image des vaches broutant dans un pré qu'un voyageur regarde à travers les vitres d'un train, une pièce chorégraphique abstraite dans laquelle cinq danseurs sont lancés dans des circulations enchevêtrées. Les lignes se coupent et recoupent à des vitesses variables pour composer un saisissant paysage dont l'étrangeté réside dans l'incertitude qui plane sur le fonctionnement des corps. La partition gestuelle est-elle interprétée à l'envers comme on rembobine un film? Qui sait. Peu connu du grand public, mais lesté de quelques prix internationaux (dont le Prix d'auteur aux Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis pour Cows in Space en 1998), Thomas Hauert possède le don du vertige, lent mais profond, avec des spectacles résolument sophistiqués. Ce champion du remue-méninges met au point des scénarios aux rouages nombreux et tordus, ce qui explique un résultat scénique formidablement touffu. Dans Common Senses (2003), une part du processus de travail résidait dans l'apprentissage de mélodies d'Anton Bruckner par les dix danseurs. Improvisée, la pièce se donnait pourtant en silence pendant que les interprètes intériorisaient les chants pour en trouver la pulsation juste, la respiration commune rythmée par la musique. Thomas Hauert reste sibyllin à propos de la complexité qui nourrit ses pièces, de son goût pour les concepts. Multiplier les couches d'idées et d'images dans un spectacle lui semble la moindre des élégances vis-à-vis de lui-même et du spectateur. Il reconnait cependant : « Ecouter une voix, prononcer des mots et comprendre ou non la voix (ou écouter de la musique, une chanson, ou regarder jouer des acteurs, etc.) n'est qu'une partie de l'expérience, elle comporte aussi un aspect mental : tout ce qu'elle évoque pour vous. Si vous avez deux expériences ou plus simultanément, les associations se brouillent. Cela aussi, c'est comprendre. »


Un événement n'arrive jamais seul chez Thomas Hauert. Son invention proliférante fait plus que muscler l'imagination : elle met au jour un nouveau vocabulaire gestuel, bouscule la syntaxe, peaufine des règles de grammaire inédites pour aboutir à une langue singulièrement vive. « Depuis les débuts de la compagnie, je travaille à repousser les limites du corps, à forcer les évidences anatomiques pour élargir le spectre du mouvement. Tout est possible. Il suffit de vouloir faire cette recherche et de croire qu'on est loin d'avoir exploré toutes les capacités du corps. » D'où parfois la sensation de contempler une danse contrariée, de guingois, concassée même. Volontairement mal dégrossi ou interprété à l'arraché, le geste de Thomas Hauert ne cède jamais à la tentation du lisse et du beau.

Pour sa nouvelle pièce Walking Oscar, il s'est adossé à l'œuvre de l'écrivain hollandais Oscar Van den Boogard qui lui a don­né des textes composant une sorte d'auto­biographie éclatée. Le chorégraphe en a conservé des fragments, série d'anecdotes tantôt banales, tantôt insolites, dressant le portrait d'un homme insaisissable. A partir de ce canevas, chacun des six danseurs a repris à son compte un objet ou un mot, écrit des chansons et tramé l'épaisseur d'une vie au gré d'associations d'idées et de thèmes comme l'innocence et la responsabilité, l'identité et l'adaptation, la volonté et la manipulation. « Oscar nous a donné carte blanche et nous sommes partis en balade avec son alter ego. Nous le montrons, nous le chantons, nous le rhabillons, nous le confirmons, nous le contredisons, nous l'interprétons, nous l'incarnons, nous le critiquons, nous le comparons, nous le comprenons mal, nous l'obscurcissons et nous sommes sa sœur. Il ne s'agit pas d'évoquer l’écrivain, même si finalement le langage, la question des mots, de l'écriture, de la perception sont au cœur de la pièce. » Etiquetée « comédie musicale », Walking Oscar rassemble les morceaux d'un portrait masculin sans cesse mouvant où chaque nouvelle information sur le personnage épaissit son mystère plutôt que de l'éclairer. Quelques indices se glissent néanmoins entre les multiples couches sans cesse ajoutées par le chorégraphe. On apprend que Thomas Hauert, qui démarra la danse très tardivement, eut son premier choc spectaculaire à 5 ans avec Holiday on Ice, que ses parents l'avaient emmené voir à Bern. Après cette vision enchanteresse, Thomas Hauert passait son temps à danser à la maison. Ce n'est qu'à 22 ans, après des études d'instituteur, qu'il choisit la danse en partant faire son apprentissage dans une école de Rotterdam. On sait aussi qu'enfant Oscar avait des difficultés pour colorier le dessin d'un être humain et avait beau mélanger les teintes, il ne parvenait pas à trouver la juste couleur de la peau. Il la laissait donc en blanc.

Rosita Boisseau

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